Des physiciens ont pu tester en matière condensée la prédiction de Schwinger (1951) concernant l’instabilité du vide vis-à-vis de la création de paires particule-antiparticule sous fort champ électrique. Ce résultat obtenu en dimension d=1, confirme la validité des approches non-perturbatives, et promeut le graphène pour une électrodynamique quantique (QED) de laboratoire.   

 

Une des prédictions les plus frappantes de la théorie quantique des champs est l’instabilité d’un champ électrique par création de paires particule-antiparticule, connue sous le nom d’effet Schwinger. Le taux de création, qui dépend de la dimensionalité, a un champ électrique seuil déterminé par la masse des particules et la vitesse de la lumière. C’est bien là où le bât blesse, puisqu’il faudrait des champs de 10^18 V/m pour créer des paires électron-positron d’énergie 511 keV.  De tels champs sont aujourd’hui inaccessibles, sauf peut-être un jour à la convergence de faisceaux de lasers ultra puissants où son observation constitue l’un des graals. En attendant, les analogues matière condensée peuvent se révéler utiles en simulant en laboratoire ces mécanismes « haute énergie » pour tester les théories qui les sous-tendent.

Les pionniers du graphène avaient pressenti l’intérêt du graphène pour la QED. Il tient au caractère relativiste des excitations élémentaires de type électron et trou, avec une vitesse de la lumière remplacée par la vitesse de Fermi qui est 300 fois plus faible, une chiralité et une ambipolarité qui en font de véritables fermions de Dirac.  Certains aspects relativistes du transport dans le graphène ont été bien étudiés comme l’effet tunnel de Klein qui conduit à une collimation des électrons dans une jonction p-n, mais l’effet Schwinger restait insaisissable. Les raisons en sont à la fois techniques et conceptuelles : il fallait d’une part du graphène de haute qualité pour réaliser des dispositifs balistiques sur de grandes dimensions, et d’autre part comprendre le transport électronique dans ces régimes de champ fort où les électrons sont extrêmement hors équilibre. Ces avancées ont permis l’expérience décrite dans l‘article paru en ligne le 9 mars de Nature Physics, qui a été réalisée par les équipes de Physique Mésoscopique, Nano-Optique, et Interactions Fondamentales du LPENS, en collaboration avec des théoriciens du LOMA-Bordeaux et du LPS-Orsay.

La clé est venue de longs transistors à base de graphène encapsulé dans du nitrure de bore, présentant une saturation exponentielle très caractéristique du courant à forte tension. La saturation est induite par le fort champ électrique concentré sur une longueur de l’ordre du micron au drain du transistor en régime de pincement. Cet effet de pincement (pinchoff en anglais) est bien connu et même crucial pour le fonctionnement des transistors semi-conducteurs de nos ordinateurs. Pour le graphène semi-métallique le pincement est plus étrange et revêt en fait un caractère très singulier propre aux fermions de Dirac : le champ électrique appliqué induit une collimation de Klein géante des électrons conduisant à un transport unidimensionnel avec une saturation exponentielle du courant. L’article montre que le champ de collimation est ultimement limité par l’instabilité Schwinger de création de paires électron-trou. La conductance Schwinger associée revêt en dimension d=1 une forme universelle remarquable, qui est mesurée en accord quantitatif avec la théorie dans sa version non-perturbative. Cette variante doublement relativiste, où l’effet Schwinger nait de la collimation de Klein, a été baptisée effet Klein-Schwinger mésoscopique.

Les observations rapportées dans l’article, constituent une avancée importante dans la compréhension des limites intrinsèques à la saturation du courant dans le graphène, et ouvrent la voie pour de nouvelles expériences de QED de laboratoire.

Vue d’artiste de la polarisation du vide par création de paire electron-trou dans le graphène.

 

 

En savoir plus :
https://doi.org/10.1038/s41567-023-01978-9

Informations complémentaires :
Laboratoire de physique de L’École normale supérieure (LPENS, ENS Paris/CNRS/Sorbonne Université/Université de Paris)


Auteur correspondant : Bernard Plaçais –  Emmanuel BaudinJan Troost
Contact communication : L’équipe de communication