La dualité onde-particule est une propriété emblématique de la mécanique quantique qui met en vis-à-vis matière et lumière : il est possible de réaliser des expériences typiques d’optique ondulatoire (interférences, diffraction) avec des ondes de matière, comme on peut même faire de l’optique géométrique avec des électrons : dans un conducteur où ils ne subissent pas de processus de diffusion (régime balistique), ils se propagent en ligne droite. Mais parce que l’« indice électronique » du milieu (déterminé par le niveau de Fermi) n’a pas les contraintes physiques de l’indice optique, il est possible d’avoir de grandes variations d’indice, et ainsi dépasser les possibilités de l’optique…

Des chercheurs de l’équipe Physique mésoscopique du LPENS (ENS, CNRS, Sorbonne Université, Université de Paris), en collaboration avec les universités d’Aix-la-Chapelle et de Singapour, ont réalisé l’équivalent électronique d’un réflecteur optique : un élément en forme de prisme à angle droit qui réfléchit tout rayon lumineux à 180°, quelle que soit la direction incidente. Pour cela, ils ont utilisé un échantillon de graphène dans un régime balistique, encapsulé dans du nitrure de bore, le tout placé au-dessus d’électrodes métalliques nanostructurées permettant de façonner des profils de dopage très contrastés. Afin que les lois de l’optique puissent s’appliquer, il faut cependant que le changement d’indice soit abrupte à l’échelle de l’onde de matière, de l’ordre ici de 20nm, vingt fois plus petite que celle de la lumière. Cette prouesse de salle blanche réalisée sur plusieurs années, a en plus un avantage considérable : les indices du prisme (B) et du milieu environnant (A) (dépendant directement du dopage), sont modulables in situ.

Dans leur étude publiée dans Nature Communications [1], les chercheurs ont mis en évidence un déplacement balistique des électrons de conduction du graphène, qui respecte les lois de Snell-Descartes et de Fresnel aux interfaces. De plus, le choix d’un fort saut d’indice irréalisable en optique (nB > 2,6 nA) oblige l’électron à des réflexions internes, et globalement à une réflexion quasi-totale des ondes de matière par le système. Cerise sur le graphène : il est possible de moduler in situ à des fréquences télécoms (GHz) les indices électroniques, et ainsi de faire varier (rapidement) la transmission du dispositif, une modulation interdite dans une géométrie rectangulaire habituelle par l’effet tunnel de Klein (le « paradoxe de Klein »).

Cependant, si un électron subit une collision avec un phonon, sa propagation va changer de direction, et il pourra éventuellement s’échapper par transmission. Ce phénomène qui limite la transmission et donc la résistance électrique du dispositif, a été modélisé théoriquement dans cet article et permet de comprendre quantitativement la découverte expérimentale d’un plateau de la transmission du dispositif.

Si ce travail a permis de créer un transistor original au graphène en détournant les lois de l’optique géométrique pour contrer le paradoxe de Klein, son intérêt principal est ailleurs : sa sensibilité aux interactions électrons-phonons transforme le système en une sonde potentiellement très utile de phonons, capable de détecter les phonons parcourant le graphène, même à des temps de vol subnanoseconde.

En savoir plus :
[1] Graef et al., A corner reflector of graphene Dirac fermions as a phonon-scattering sensor, Nature Communications 10, 2428 (2019).

Informations complémentaires :
Laboratoire de Physique de L’Ecole normale supérieure (LPENS, ENS Paris/CNRS/Sorbonne Université/Université de Paris)


Auteur correspondant :
Bernard Plaçais

 

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